Psychopathologie de la vie numérique. Une nuit de septembre 2016, je rêve que c’est la rentrée et que je dois donner un cours. Il y a des années que je n’ai pas enseigné. Je suis projeté là, in medias res, dans un établissement de nature indéterminée. Je n’ai absolument rien préparé ; je n’ai avec moi aucun livre, aucun crayon, aucune feuille de papier. Je n’ai jamais su improviser. J’ai longtemps espéré d’en être un jour capable, l’expérience et le temps ayant fait leur œuvre ; cela ne s’est pas produit. Quelquefois, par flemme ou parce que j’avais beaucoup à faire par ailleurs, j’ai repoussé indéfiniment la préparation d’un cours, en songeant alors, eh bien, à Dieu vat, ce sera l’occasion d’improviser – et le résultat n’a pas été heureux. L’épreuve s’annonce donc rude, mais, pour essayer de me rassurer, je l’aborde en jouant avec l’idée que cette fois-ci, enfin...
Qu’entendre par l’invocation d’une « esthétique de la connaissance » ? Manifestement il ne s’agit pas de dire que les formes de la connaissance devraient s’adjoindre une dimension esthétique. L’expression présuppose qu’une telle dimension n’a pas à être ajoutée, comme un ornement supplémentaire, qu’elle est là de toute façon comme une donnée immanente de la connaissance. Reste à voir ce que cela implique. La thèse que je voudrais présenter est simple : parler d’une dimension esthétique de la connaissance, c’est parler d’une dimension d’ignorance qui divise l’idée même et la pratique de la connaissance.
Cette proposition implique évidemment une thèse préalable quant à ce qu’ « esthétique » veut dire. La thèse est la suivante : l’esthétique n’est pas la théorie du beau ou de l’art, elle n’est pas non plus la théorie de la sensibilité. Esthétique est un concept historiquement déterminé qui désigne un régime spécifique de visibilité et d’intelligibilité de l’art, qui s’inscrit dans une reconfiguration...
Il existe un restaurant dans River Street à Hoboken, dans le New Jersey, en face des jetées et à quelques pâtés de maisons de la remise du Lackawanna Ferry, qui s’appelle My Blue Heaven Italian Restaurant. Un été, je revenais de Copenhague sur un cargo de Hog Island, la nourriture était mauvaise et, quand le cargo s’est finalement amarré à Hoboken, le premier endroit que j’ai vu où je pouvais manger était My Blue Heaven et j’y suis allé directement avec ma valise à la main. Je me suis assis et le serveur m’a tendu un menu, mais avant que j’aie commencé à lire, il m’a dit que le plat du jour était un risotto avec du calamari et qu’il me le recommandait. « C’est du riz, a-t-il dit, avec des calmars. » Je n’avais encore jamais alors mangé de risotto, et certainement pas de calmar, mais j’ai commandé le plat du...
Les calypsos viennent de Trinidad, une île britannique des Caraïbes proche de la côte du Venezuela qui fournit aussi au monde de l’asphalte ainsi que l’amer Angustura. Ils sont composés par des hommes hautains, amoraux qui boivent sec et qui se donnent le nom de calypsoniens. En grande majorité ce sont des Noirs. Une guitare sous le bras, ils passent leur temps dans les rhumeries et les cafés chinois de Marine Square et Frederick Street à Port-of-Spain, la ville principale de Trinidad, en quête de rumeurs autour desquelles ils pourraient construire un calypso. Nombre d’entre eux se vantent avec raison du fait que des femmes se battent pour avoir le droit de subvenir à leurs besoins. La plupart sont des vétérans des prisons de l’île. Pour se distinguer des hommes ordinaires, ils n’utilisent pas leurs noms légaux mais vivent et chantent avec des titres adoptés tels que Growler, Lord Executor,...